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Critique de l’album : peut-être l’une des plus belles…

Voici sans doute l’une des plus belles critiques reçues au sujet du Lac d’Eugénie. Elle est signée Stéphane Fougère, sur le site d’Ethnotempos :
De la musique traditionnelle à la chanson française, le chemin peut paraître fastidieux et incertain à parcourir. Pourtant, Sylvain GIRO n’a pas eu besoin de bottes de sept lieues pour relier ces deux extrêmes. Il l’avait déjà prouvé à l’époque où il était le chanteur charismatique de KATE-ME, dont la Bretagne – au moins ! – a sûrement gardé quelque bon souvenir.
Depuis 2011, il navigue et se livre en solo. Enfin pas tout à fait puisque c’est un trio qui officiait déjà sur son premier CD, Le Batteur de grève. Et contre toute attente, Sylvain GIRO n’avait nullement choisi un accompagnement trad’, ni même folk, mais résolument rock, qui plus est fortement teinté 70’s, entre psychédélisme « heavy » et folk progressif, souligné par l’orgue Hammond et le Fender Rhodes de Julien PADOVANI (qui tient également l’accordéon chromatique, le piano et le glockenspiel) et la batterie toute en ciselage de Jean-Marie NIVAIGNE (crédité aussi à la chaîne de vélo !). Ah oui, et tous trois assurent de même les chœurs !
Le temps d’un EP de transition (Les Camélias de Nantes, en 2013), et voici que la même équipe remet le couvert pour un album complet au titre énigmatique, Le Lac d’Eugénie, qui fut un spectacle avant d’être un disque. Au passage, GIRO a recueilli dans ses rangs le violoncelliste Erwan MARTINERIE, qui creuse davantage la fibre poétique de cet univers sonore et textuel si personnel tout en contrastes, que ponctuent occasionnellement la présence d’une flûte traversière (Erwan HAMON) et d’une guitare électrique (Laurent ROUSSEAU).
Entre le conte et la chanson, Le Lac d’Eugénie déploie ses vagues de souvenirs, ses ondes rêveuses, ses éclats d’ombre et de lumière, livrant des images troublantes et intenses dans lesquelles l’Histoire d’un pays et l’histoire d’un individu confondent leurs séquelles et les recouvrent de voiles hallucinatoires aptes à attiser les imaginaires de tout un chacun.
Les dix chansons qui cernent (ou émergent de) ce Lac d’Eugénie tracent une géographie tant intimiste que fantasmatique, et que l’on sent pourtant ancrée dans un terroir familier aux mille couleurs, saveurs et senteurs. Ici une place de village, là un carré de forêt, par ici une gare et son quai « qui démarre », par là une maison fantôme, sur le côté une pierre qui sonne et au milieu, un lac-miroir engourdi par l’hiver des mémoires…
Il fait jour dans une chanson, il fait nuit dans l’autre, tel récit fait froid (dans le dos), tel autre réchauffe, et toujours le cœur y bat à plein régime !
Oui, Le Lac d’Eugénie donne à voir, à sentir, à respirer, passant d’ambiances intimistes à des sautes d’humeur quasi explosives, interrogeant avec la même ferveur cauchemars et sourires, penchants mélancoliques et moments drolatiques, fêtes et guerres, frayeurs nocturnes et révélations lumineuses.
Dans cette Terre de souvenirs et de mirages gorgée d’électricité, on pourrait craindre que le chant de Sylvain GIRO se contente de surnager. Au contraire, sa voix domine la palette sonore, d’un timbre chaud et limpide. C’est bien le Verbe qui prévaut, et la musique, même si elle a le goût de l’aventure expérimentale, ne s’égare jamais dans l’esbroufe gratuite. Elle est là pour sertir le Mot, projeter le Texte et lancer l’imagination sur orbite, comme dans les plus beaux opus du rock progressif d’antan.
Les photographies de boiseries automnales qui ornent le livret sont l’œuvre de Val K. Elles reflètent elles aussi cet effet de vases communicants entre le rêve et le réel, le pouvoir de l’un à suggérer l’autre. Chant, musique et images fusionnent à merveille pour dépeindre un univers qui tient autant de l’expressionnisme que du surréalisme, avec de vraies touches de tradition dedans !
Non, décidément, le chemin qui mène du trad’ à la chanson française n’est pas si improbable, dès lors qu’on y dessine, comme le fait Sylvain GIRO, un récit initiatique réconciliant le réel et le merveilleux, la remembrance et la vision, l’ étoffe des rêves et la glaise des sentiers buissonniers.
Oubliez les étiquettes trop collantes, oubliez les postes-frontières et les cloisons trop étanches, et plongez derechef dans ce Lac d’Eugénie aux séduisants reflets chavirés, bigarrés et moirés. Au passage, vous pourrez même y noyer vos préjugés sur le folk, la chanson, le conte, le rock, la musique actuelle, la musique non-actuelle, et l’âge du capitaine. Et même si ce lac est enneigé, s’y baigner fait un bien fou et régénère nos facultés à imaginer, à déambuler, à vibrer…